Monument « À la Défense du Canal de Suez »
En 1925, Raymond Delamarre remporte avec l’architecte Michel Roux-Spitz (tous deux Grands prix de Rome) le concours lancé par la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez, pour l’édification près d’Ismaïlia, en Égypte, d’un monument commémoratif de la défense du canal de Suez de 1915 (durant la guerre de 1914 à 1918) par des contingents britanniques, égyptiens, français et italiens des armées alliées de Terre et de Mer.
À gauche, le sculpteur Raymond Delamarre.
L’architecte Michel Roux-Spitz en chapeau-melon et lunettes.
Entièrement en granit taillé à la pointe, le monument se compose de deux immenses pylônes de 40 mètres de hauteur, séparés par une fente étroite qui symbolise le canal.
À leur base, se dressent et s’appuient par leurs ailes, longues de 13 mètres, deux figures colossales, vigoureusement sculptées et largement stylisées, symbolisant l’Intelligence sereine, porteuse du flambeau, et la Force sévère, gardienne des destinées du pays.
Dans une lettre adressée à Raymond Delamarre, l’architecte Roux-Spitz écrit :
Notre monument n’aura pas autour de lui le moindre brin de verdure, il se dressera comme un énorme phare double que l’on verra de plusieurs kilomètres.
Je crois qu’il faudra tailler assez finement à la pointe et dans les sculptures arriver à lisser, la taille grossière ne serait pas du tout dans la note de tout ce que l’on voit en Égypte qui est aussi absolu et net de ligne et de surface que les tons du sable ensoleillé le sont sur le ciel pur.
La moindre verticale ici compte énormément – nos 40 mètres vont en cogner un coup.
Le site choisi et aménagé en vue de l’implantation du monument concourt à en souligner les grandes dimensions : le Djebel Mariam, vaste plateau dénudé, est à près de 30 mètres au dessus du niveau du lac Timsah.
De grandes rampes à pente douce atteignant les extrémités de la plate-forme contribuent à l’effet architectural de l’ensemble. Celui-ci, magnifiquement situé et expressif dans un paysage désertique, dominant de plus de 70 mètres les rives du Canal, impose sa silhouette durant plusieurs heures à tous les bateaux du monde empruntant cette voie de circulation maritime.
L’élaboration du projet : de la maquette à la réalisation
Dessins du concours.
Excellent dessinateur, Raymond Delamarre ébauche le monument sous différents point de vue.
L’artiste s’applique à l’étude de modèles à la rigueur monumentale, qu’il « habille » de draperies de plus en plus stylisées.
Moulage en plâtre.
Les sculptures modelées en terre, puis moulées en plâtre, sont ensuite taillées dans la pierre en petit format (1/10e), pour approcher de près l’aspect qu’elles auront au final.
L’artiste choisira avec l’architecte Roux-Spitz les granits utilisés pour la réalisation définitive : une carrière de granit gris-rosé en Sardaigne sur l’île Maddalena, où seront taillées les pierres.
« En voyant des sculptures polies, simples, mais riches de modelés avec des courbes et des plans gauches savants, je vois ce que tu peux faire en en transposant la composition » écrit Roux-Spitz à Delamarre en 1925.
Avec l’architecte Roux-Spitz, le sculpteur fera le calepinage (numérotage des blocs) dans son atelier, qui servira de plan de montage pour les praticiens (août 1927).
Les deux sculptures au 1/10e sont réalisées en pierre pour être positionnées sur la maquette du monument. De nos jours, elles sont exposées au musée des Années 30 (espace Landowski) à Boulogne-Billancourt.
Raymond Delamarre et sa femme Mariel, dans l’atelier en 1928, posent aux côtés d’une des sculptures du monument moulée en plâtre à l’échelle demi-grandeur (4 mètres de haut).
Mariel et Raymond Delamarre, Monsieur Antonini et son fils, mouleurs (octobre 1927).
Photo : Bernes Marouteau.
Les sculptures seront ensuite acheminées par bateau de Gênes (en avril puis septembre 1928) sur l’île Maddalena en Sardaigne, où elles seront exécutées en grandeur définitive par des praticiens.
La réalisation du monument
Les pierres taillées sur l’île Maddalena seront acheminées de Sardaigne par bateau sur le site du monument en Égypte.
Le chantier en 1930.
Les praticiens : Emmanuel Guérin (en haut) et Italo Santelli (à droite), tous deux formés à Rome.
Les praticiens travaillent de juillet 1928 à mars 1929 (environ 8,5 mois) à la réalisation des deux grandes sculptures de huit mètres de haut.
Raymond Delamarre fera plusieurs aller-retours pour surveiller l’évolution du chantier.
Détail du flambeau de la sculpture l’« Intelligence sereine ».
Un immense échafaudage en bois est construit sur le site du monument, pour permettre l’assemblage des pierres taillées. Les deux pylônes sont déjà en place, taillés également en granit rose pour conserver une grande unité à l’ensemble.
Une tête sculptée émerge du coffrage de bois réalisé pour le transport.
L’inauguration
Le monument est inauguré le 3 février 1930, sur les bords du lac Timsah.
Carte postale d’époque.
Il est toujours en place.
Voir ce lieu sur Google Earth : Canal de Suez, Longitude: 32.359722, Latitude: 30.410556.
Une médaille de Raymond Delamarre sera frappée pour l’inauguration.